Voici la presse Marie Mesplet. Il s’agit d’une presse à taille-douce Ledeuil créée à Paris vers 1860. Elle ressemble beaucoup à celle que décrivent Diderot et D’Alembert dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751-1772), car ce modèle a peu évolué depuis le XVIIIe siècle. Cette presse est arrivée au Québec durant la deuxième moitié du XXe siècle; elle a appartenu à l’artiste Léon Bellefleur, puis à Louis Pelletier et, depuis 1988, à l’imprimeure Danielle Blouin. Elle a servi à imprimer les oeuvres de nombreux artistes, dont Francine Simonin, Peter Krausz et Françoise Sullivan.

En septembre 2023, j’ai eu un grand coup de cœur pour cette petite presse à taille-douce. Alors, j’ai décidé de l’acquérir. Il faut dire que depuis quelques années, je fréquente certains espaces de travail dédié aux arts imprimés et que j'ai participé, en tant que poète, à la réalisation de deux livres d'artiste: Trois entretiens et Le chant d'Odessa. L’acquisition de cette presse me donnera l’occasion de réaliser quelques projets en arts imprimés. Comme l’affirme son ancienne propriétaire, « les beaux objets initient souvent de belles idées ».

Je l’ai nommée Marie Mesplet en l’honneur de la première femme qui a exercé le métier d’imprimeure au Québec. De son nom de jeune fille Marie Mirabeau (1746-1789), celle-ci a épousé Fleury Mesplet (Marseille, 1734-Montréal, 1794), imprimeur, éditeur et libraire bien connu dans l’histoire de la littérature québécoise. Après un voyage à Londres, où il rencontre Benjamin Franklin, Fleury s’installe avec Marie à Philadelphie; le couple déménage ensuite dans la province de Québec. Les événements politiques lui serviront à trouver les capitaux nécessaires au fonctionnement de son imprimerie à Montréal. En 1775, au début de la Guerre d’indépendance américaine, il réussit à convaincre le Congrès international qu’une presse française est indispensable à la révolution dans la métropole. C’est ainsi que Mesplet crée le premier journal de langue française au Canada, la Gazette littéraire pour la ville et district de Montréal, dont Valentin Jautard sera le rédacteur. Tous deux seront jetés en prison sans procès.

Marie Mirabeau Mesplet (1746-1789) devient alors la première femme qui dirige une imprimerie au Québec. Elle le fait durant l'emprisonnement de son mari, entre 1779 et 1782.

En plus de ses fonctions habituelles de presse à taille-douce, la presse Marie Mesplet permet de raconter un volet important de l'histoire de l'imprimé au Québec, marqué par le vent de liberté et d'émancipation qui animait alors Mesplet et Jautard, fiers défenseurs des idées de Voltaire et des Lumières.